T'aimais bien cet immeuble, Shanti.
Parce qu'à chaque fois que tu y entrais, tu devais te mettre à esquiver les bouteilles de soda premier prix et les cartons de pizza qui tapissaient le sol -à croire qu'ils ne mangeaient que ça-. Et si ta mère y aurait vu quelque chose de complètement
shadd-yah, cet endroit était à tes yeux une sorte de joyeux chaos qui avait le don de te mettre de bonne humeur à chaque fois que tu y mettais mes pieds. Ça te souriait, te saluait, te checkait même, ça se passait des "bien le bonjour" et ça les remplaçait par des "bien ou bien" -
enfin presque-, ça t'appelait "la p'tite livreuse" mais sans mépris aucun. Et tu avouais qu'à chaque fois que tu avais des journaux à délivrer là-bas, tu t'empressais d'y aller en dernier. Parce que t'aimais bien l'idée de garder le meilleur pour la fin, de finir ta tournée sur une note agréable.
Il était donc aux alentours de six heures quand tu sonnas à la porte de
m'sieur ak.
Ou
Ak. Tu oscillais entre les deux, maintenant que tu le connaissais assez bien pour ne plus l'appeler
m'sieur mais que
ak te semblais un peu trop... enfin, tu avais tellement pris l'habitude d'appeler les gens chez qui tu livrais
m'sieur ou
m'dame que
ak, ça te restait un peu en travers. Mais d'un côté, lui, ça ne l'embêtait pas de t'appeler
shan et de t'ouvrir torse-nu tous les matins -toi non plus d'ailleurs-, alors pour lui, tu te forçais à perdre cette habitude. En tout cas tu ne l'as jamais appelé
monsieur ou
akmar, ta diction singulière n'aimant aucun de ces mots. T'es compliquée, Shanti, non ?
— Heey si ce n'est pas ma livreuse de journaux préférée.T'as eu comme un sursaut quand il s'est adressé à toi, avec ce ton traînant et paresseux qui le caractérisait - le matin en tout cas. Tu lèves les yeux vers lui, parce que du haut du ton mètre-soixante, il te dépassait bien d'une tête, bien qu'il ne soit pas spécialement massif ou quoi que ce soit. Ta bouche s'étire dans un sourire compréhensif, presque las - toujours pas réveillé. Comme d'habitude.
— Salut Ak.Yes.— Tu as le temps pour un café Shan' ?Tu t'apprêtes à lui répondre que non, tu n'avais pas le temps, que tu avais rendez-vous au cercle des livreurs de journaux anonymes, mais comme lui aussi savait que passé six heures, tu avais le temps pour tout les cafés du monde, tu ne fis qu'un petit
mh-hm à peine audible avant de le suivre dans l'appartement. Tu ne prenais même plus la peine de le regarder, parce que tu savais que là il y avait le sofa, là-bas les toilettes, et plus loin sa chambre - et c'était amplement suffisant. Tu repousses la couette sur le canapé, t'assois contre l'accoudoir de gauche, pose le journal sur la table -sinon il l'oubliait-, mets trois sucres dans ton café pour en masquer le goût atroce. Autant de petits gestes qui s'étaient fait machinaux, depuis le temps que le soldait t'invitait à passer la matinée chez lui. Ça faisait quoi ? Deux semaines ? Trois mois ? Six jours ? Le temps passait vite avec lui.
Sans vraiment y porter attention -les gestes machinaux, toujours-, tu attrapes ta tasse posée sur la table, t'enfonce dans le dossier du canapé -
squish- et boit une gorgée, pas vraiment réveillée toi non plus.
— ...!... Et la recrache aussitôt.
C'était pas trois sucres en fait, c'était au moins sept.
En tout cas tu sais maintenant que c'est possible de faire encore pire que le café de base. C'est sucré mais pas dans le bon sens du terme; le liquide sirupeux te colle au palais, te fait tirer une gueule pas possible alors que tu essayes de faire passer le goût qui te donnerais presque la nausée, en passant ta langue dans chaque centimètre carré de ta bouche.
Et pendant que tu ravales le malaise qui s'installe dans cette matinée qui avait pourtant si bien commencé, tu te rends compte que tu préfères largement la routine, Shanti.
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726 words FOR akmar r. m. al-misrî
TAGS #coffee #morning #sugar
NOTES bon bah voilà I'M BACK ;D (oui parce qu'en fait je revenais que jeudi matin duh). j'ai écris ça sur la plage, et du coup j'espère que c'est pas trop nul :ccc (surtout avec cette chute pourrie (et je me suis acheté un carnet au fait) (j'suis proud)