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MessageSujet: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyDim 3 Juil - 21:58
Llyr C. Anarawd
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OÙ ÊTES VOUS ? : Zirnitra.
MÉTIER/OCCUPATION : Sergent, dans l'armée.

la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.




Il y a des choses que l’on n’oublie jamais.
Des choses au fond de notre être, prêtes à ressurgir sans crier gare.


Il faut les noyer, les faire taire, pour arrêter leur cri incessant. Et ma façon à moi, c’est le whisky. Cela peut paraître minable, ridicule. On me traitera surement d’homme pathétique, on me dira qu’il y a de meilleurs moyens. Mais je maintiens. Il n’y a rien de mieux qu’une bouteille de whisky pour imaginer le bonheur et faire disparaître son malheur. Attention, je n’entends pas par là que je vais en boire l’intégralité. J’en suis capable, mais je ne suis pas un idiot. J’ai tout de même un grade dont je me dois de garder l’honneur. Ce n’est pas tout le monde qui peut prétendre au rôle de Sergent. Alors je me dois de rester droit. Et c’est ce que je fais, toujours. Un verre, un seul. Peut-être un deuxième, mais cela reste rare. Disons que je  le réserve aux jours les plus durs. A ceux où le travail m’a suffisamment été difficile. Ou bien aux nuits qui m’empêchent de fermer l’œil. Celles où les ombres tournent autour de moi. C’est là où le whisky me devient nécessaire, voire même plus encore. Là où il prend toute sa saveur. Là où le moindre arôme ressort, là où la moindre goutte prend son importance. C’est un nectar nécessaire à ma survie. Et c’est un nectar dont je ne souhaite aucunement me séparer.

Il y a ces jours où je ne pense qu’à ça. Survivre.

Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, je veux vivre, profiter, aimer. Fut un temps où je n’angoissais pas face à une simple parcelle d’ombre, et j’ai décidé qu’aujourd’hui, ce serait la même chose. Au revoir les troubles indigestes et autres folies de l’imagination. Il me faut sourire et avancer. Braver le froid et les attentes de mon cœur de tout plaquer. Bats. Bats. Bats, stupide cœur. C’est en  battant que tu pourras être brave à nouveau. Brave et certain. Brave et fort. Car après tout, il y a une raison pour laquelle je suis toujours là. Le destin en a voulu ainsi. La toundra et ses tromperies perfides auraient pu m’avaler, me faire disparaître sous cette épaisse couche de neige dissimulant le sang de feu nos ancêtres. Dissimulant le sang de ceux que j’ai abandonné. Non. Non. N’y pense plus. Llyr, n’oublie pas. Tu dois vivre.

Et la fin de journée s’abat.

Je pose mon arme. Je range mon uniforme, le troque pour une tenue plus… ou plutôt moins terne. Mais là à ma ceinture, tu erres, simple lame. Si les fantômes attaquent. Je dois me défendre. Devant le miroir, j’efface mon reflet d’un coup de main, comme si ce simple geste pouvait gommer l’erreur dont j’ai été témoin. Quelle horreur ? Ce que j’ai fait. Mais mon image, aussi, est une erreur. Me regarder m’est un cauchemar. Je ne vois que ce que je deviens, cet homme perdu qui tente tout de même de tenir debout. Mais démon, démon, je ne suis qu’un démon. Les cornes me pousseront. Les crocs transperceront mes gencives, les griffes arracheront ma peau. Car oui. C’est ça, ce que je vois de moi chaque jour. Ce que les voix me répètent avant de m’enfoncer dans le sommeil. Non, non. Démon. Monstre. Anghenfil. Oh. Le prononcer dans la langue de mes ancêtres fait sonner tout cela bien différemment.

Anghenfil.

J’ouvre la porte du bar et il me suffit d’un rapide signe pour que quelqu’un hoche la tête et m’apporte la précieuse boisson. Mes lèvres y trempent, cessent de trembler. Deviendrais-je un véritable… habitué ? Serais-je en manque ? Je crois. Je crois que je l’étais. Je n’ai qu’attendu ce moment, durant toute la journée. Cet instant où enfin je mettrai les doigts sur ce verre. Oui. J’ai beau dire ce que je veux. Je bois. Je bois trop. Pourtant, je ne suis pas si triste toute la journée. Simplement quand je suis seul chez moi. Les autres autour préviennent ces spectres de déchirer mon semblant d’âme. Oh m’en reste-t-il même une ? Je n’en sais rien. Si je buvais avant, c’était pour oublier. Maintenant si je le fais, c’est par habitude. Et je m’en rends compte, là, en cette seconde même, accoudé au bar. Un verre par jour. Mais c’est suffisant pour me mettre en manque.

Bon sang ! Mais qu’est-ce que je deviens ?

Il y a quelques années, je me serais quelque peu tenu ! J’aurais froncé les sourcils et arrêté sur le champ ! Mais là, je deviens… oui. Je sais. Ce que je disais tout à l’heure. Minable. Ridicule. Tss. Je ne suis sans doute pas le seul ici. Mais je ne veux pas être comme les autres pour une chose pareille. Je dois passer à une autre étape. L’autre étape à laquelle je commence à m’accrocher trop vite aussi. Mais qui me permet d’avoir de la compagnie pour la nuit. Je ne veux pas être seul dans mes draps. Ils se serrent contre moi et m’étouffent quand je ne suis plus vraiment moi.

Regarde-le, lui. Il fera l’affaire.
Oui, il fera l’affaire.


Je me rapproche, lentement. Je souris un petit peu, le détaille. Puis je fais un signe pour qu’on le serve aussi.

Je me demande comment on dit victime, dans ma langue ancienne.

Dioddefwr.  


MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyDim 10 Juil - 20:22
Evgeni Dunyasha
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MÉTIER/OCCUPATION : Chercheur. Enfin, Laborantin.



7h45. Comme chaque matin, le silence nous accueille à notre entrée dans le laboratoire. Nous sommes une poignée, toujours les mêmes. Nous savons ce que nous avons à faire et les paroles que nous avons à échanger : salutations polies, questions rhétoriques dont nous n’écoutons pas même les réponses, récupérer nos courriers et rejoindre nos bureaux. Cette routine est devenue comme un moyen inavoué de surveillance : le moindre pas de travers est aussitôt remarqué et attire les suspicions. Je sens la pression de leurs regards sur moi. De leurs questions, avides de m’arracher un fragment de mensonge ou de vérité sur lequel ils pourraient se jeter pour repaître leur curiosité. Mais je ne les nourrirai pas. Je sens leur méfiance à mon égard, comme je me méfie d’eux. Particulièrement de Lui. Celui qui s’occupe de noter nos allées et venues. Celui qui, chaque matin, soupire et s’exaspère de trouver son horloge sur le coin de son bureau. Il la met à l’heure et l’accroche à sa place, au dessus de son bureau, devant la porte du laboratoire. 8 heures. Il claque des mains et sa docile servante émet une sonnerie brève pour l’accompagner.
Les minutes défilent, marquées par le pas militaire de l’aiguille. Les heures hachent la journée, marquées par les sifflements tridents de l’horloge. Autour de moi, les pas m’entourent. Ils me suivent ou m’abandonnent pour mieux se rapprocher. Ils se font parfois plus sonores, pour détourner mon attention, ou gagnent en discrétion. Pourtant, je ne lève jamais les yeux vers les nombreuses, trop nombreuses silhouettes, que je croise lors de mon errance. J’observe parfois leur reflet dans la vitre transparente d’un des tubes renfermant des Sover en formation. Je guette leur ombre en baissant les yeux vers le sol, je m’immobilise pour tendre l’oreille. La routine est la plus efficace, la plus redoutable des surveillances. Et l’horloge semble être de mon avis : elle rythme nos journées, traque chaque seconde qu’elle engloutit d’un claquement sonore, elle nous impose l’allure de son aiguille lunatique. Tant que le soleil est haut dans le ciel, elle aime flâner, lentement, le long du cadran : il faut croire qu’elle aime nous voir nous éveiller dans nos bureaux, bien souvent en compagnie d’une tasse de café de pauvre qualité. Elle assiste aux conversations qui s’échangent et s’impatiente devant nos multiples machines qui peinent à sortir du sommeil ; toutes engourdies, il leur faut un certain temps avant d’être prêtes d’usage, un temps où la folle et capricieuse aiguille en profite pour tourner autour du cadran à plusieurs reprises. Comme pour nous rappeler le temps que nous perdons, comme s’exaspérant de notre lenteur, comme il nous arrive de tourner autour des grands tubes qui s’étirent du sol au plafond de la salle d’incubation. Je la suis souvent du regard. Quand le laboratoire fourmille d’activité et de discussions, l’aiguille ralentit sagement sa course. Elle tient à ce que nous travaillions correctement. Puis, comme poussée par l’ennui, la lassitude ou l’impatience de mes collègues, elle accélère sa course. Elle a vu ce qu’elle souhaitait voir, elle a entendu ce qu’elle désirait savoir. Craint-elle que nous nous laissions aller à la fatigue, au repos ? Craint-elle que nous ne décidions de ne plus suivre ce qu’elle nous dicte, de ne pas réaliser nos tâches à temps ? Elle s’élance, s’impatiente et se presse. Elle martèle chaque seconde, intime le départ aux uns et aux autres, un ordre face auquel mes collègues se soumettent avec la plus sincère docilité. Un ordre que j’ignore, bien que tout mon corps réagisse à cette impudence dont j’ose faire preuve. La routine est la plus efficace des surveillances, mais elle est aussi la plus facile à déjouer.

J’entends au loin ou bien trop près de moi les portes se fermer, les autres, se saluer. Ils s’en vont. Un à un. Sauf moi. Personne ne s’en préoccupe. J’ai toujours été le dernier à quitter les lieux. J’ai toujours été celui qui éteint les machines et qui se charge des dernières vérifications, celui qui doit parfois rattraper les erreurs ou les oublis des autres. Celui qui surveille et dont les droits, les devoirs, peuvent outrepasser ceux ordonnés par l’horloge, par le temps qui passe.  Dans le silence qui gagne le laboratoire, le pas de l’aiguille devient si sonore qu’il en recouvre le vrombissement de nos nombreuses machines. L’aiguille s’accélère. Elle m’ordonne de déguerpir au plus vite. Elle sait ce que les autres n’admettent pas. Elle sait que son pouvoir n’a pas d’impact sur moi. Que sa surveillance ne tire de moi aucune information, aucune erreur, qu’il n’y a absolument personne d’autre pour agir si j’en venais à n’en faire qu’à ma tête. Alors que je profite de cet instant de tout pouvoir, elle s’affole, son cœur mécanique s’emballe. Je ne veux pas partir. Pas maintenant. Je me lève et commets l’irréparable. Cet acte qui fait râler bien de mes collègues, qui incite bien des rumeurs à naître : je la décroche du mur et je retire ses piles. Je pose le tout sur un bureau, toujours le même. Et je l’y abandonne. Cette aiguille qui nous dirige, qui commande le temps et les hommes, qui dicte ce que nous devons faire, à quel instant, qui surveille ce que nous faisons pour nous punir ensuite en jouant avec les minutes. Une erreur peut condamner un laborantin à rester, à sacrifier quelques minutes pour rester sous son regard. Et elle a le sadisme de le lui rappeler qu’il perd son temps ici, qu’il se prive de sa vie à l’extérieur, de sa famille.

Mais ma famille est ici. Ma vie est ici. Je suis chez moi et je n’ai pas d’ordres à recevoir de sa part. A partir de cet instant, seul mon pas se fait entendre dans la pénombre qui gagne le laboratoire. J’allume quelques lumières, je rassemble les rapports et les prises de notes prises par mes collègues pour en faire un résumé dont je range la feuille dans un grand classeur. Je m’occupe quelque peu de mon bureau puis je vais rejoindre les nombreux tubes qui renferment les enfants que nous créons. Je suis libéré du temps. Des autres scientifiques, de ces âmes errantes vêtues de blouse blanche, spectres sans émotions, au visage bien souvent figé par des pensées qu’ils ne partagent jamais, qu’ils se contentent de dissimuler derrière un sourire, quelques paroles si futiles qu’il m’arrive rarement de les écouter. Suis-je le seul à être un tant soit peu sensible face à nos créations ? Il faut le croire. J’ai besoin de ce moment d’intimité avec ces êtres vivants que les autres aiment à ignorer, à traiter pis que du bétail. J’ai besoin de ce moment de paisible intimité, sans le son de l’horloge ou le son des autres, sans leur surveillance incessante qui pourrait réussir à me voler cet instant de vulnérabilité… où je ne suis plus un simple chercheur, mais un homme ému par le spectacle qu’il voit. Par ces êtres qui grandissent, dans de grands tubes de verre emplis de liquide.

Je m’approche de chacun d’eux. Je vérifie ce que nous avons écrit à leur sujet, les résultats de nos examens. Je les nourris par l’emploi de petits robinets que je n’ai qu’à ouvrir pour que les tubes directement glissés en eux ou entre leurs lèvres leur apporte les nutriments nécessaires pour leur développement. Je leur parle, chose que les autres ne font pas. Ils ne les voient que comme de vulgaires objets. Je leur demande comment ils vont. Je parle de ma journée ou je me contente de fredonner. Et c’est toujours avec un pincement au cœur que je vois ces petits êtres réagir. Bouger leurs jambes ou leur tête. Leur nom n’est bien souvent qu’une série de chiffres que les autres ne retiennent pas… Des séries qui indiquent leur date de création, la portée dont ils font partie, la durée prévue avant qu’ils ne soient mis « en service » comme il est politiquement correct de dire. Mais dans le secret, je les nomme. Je leur donne un prénom que je leur dis parfois, que je m’amuse à prononcer pour voir si cela peut leur faire quelque chose… Oh, bien souvent, cela ne déclenche rien, mais je suis curieusement rassuré de voir que je les considère avant tout comme des Humains.

Puis la fatigue vient finalement me ramener à la réalité. Je fais un dernier tour du laboratoire. Je réduis au silence nos machines. Je m’occupe d’éteindre les lumières et de fermer les portes. L’heure ? Je n’y fais jamais attention, mais la nuit est souvent tombée. J’enfile ma veste noire, longue, puis me penche pour récupérer ma valisette. Je me mets en route : tranquillement, je rejoins les rues, serein, mes yeux remontant rejoindre les lueurs artificielles des lampadaires, les fenêtres éclairées près desquelles des silhouettes se tiennent, tapies, fouineuses. Je les ignore et je finis par entrer dans un bar où il m’arrive de boire une limonade tout en faisant mes sudokus. J’y vais assez souvent pour connaître la plupart des visages que j’y croise. Eux, cependant, ne font probablement pas attention au petit homme dans le coin du bar, loin du piano, loin des lumières, loin des verres. Un homme entre deux classes sociales, à la politesse suffisante pour que l’on ne lui cherche pas d’ennui, à la discrétion suffisamment efficace pour que l’on ne cherche sa compagnie. Le serveur vient vers moi d’un pas traînant pour prendre ma commande ; lui-même ne semble jamais tellement sûr de m’avoir vu et m’observe toujours avec une petite moue dubitative. Il ne me reconnaît que lorsqu’il m’apporte ma commande et que je le paye dans un sourire, le remerciant de son service. A moins que ce ne soit le pourboire que je lui offre qui suffit à ce que cette lueur de reconnaissance s’allume dans ses prunelles usées.

Il disparaît sans me questionner et il est de coutume à ce que je passe le reste de la soirée à me reposer parmi le brouhaha. Perdu parmi les autres comme un poisson dans un banc étranger, et pourtant, à mon aise comme si j’eus été en une eau pure et claire. Je les observe. Je me rassure en voyant que je puis prévoir où ils vont s’installer, ce qu’ils vont commander. Leurs ententes avec les autres, les échanges qui vont revenir, les sujets qui vont être discutés. La routine est la plus efficace des surveillances. Elle m’apaise, parfois. Mais elle est aussi la plus facile à déjouer. Une silhouette se détache. Grande. Impressionnante. Elle me glace ne serait-ce que par ce mouvement anormal qu’elle amorce dans ma direction. Devrais-je me lever, prétexter aller aux toilettes pour lui échapper ? Je me sens aussi impuissant qu’un lapin face à un véhicule. Je pense à l’horloge. Je pense à la course affolée de son aiguille quand je la regarde, quand elle sait que je vais mettre à fin à sa surveillance comme lui met fin à la mienne. Je cligne des yeux, bêtement, alors que mon esprit s’affole dans tous les sens. Un mouvement m’échappe ; j’attrape mon verre et j’en bois une gorgée, puis une autre, pour m’offrir le temps de la réflexion alors qu’il se rapproche encore. Je vais devoir parler. Mais que vais-je pouvoir dire ? Que dois-je dire ? Qu’est ce qui peut donc paraître… Sans intérêt, sans vague dans un tel univers ? Comment attend-t-il à ce que je me comporte ? Quelle erreur espère-t-il de ma part ?

Un geste de sa part suffit à ce que le serveur m’apporte un autre verre, avant même que je n’ai vidé le mien. Un verre auquel je ne toucherai probablement pas. Cet homme est un habitué. Il a l’autorité. Je sais qu’il boit du whisky. Je sais qu’on le sert sans le regarder ni se préoccuper de lui, mais qu’on le surveille du coin des yeux, sans réellement savoir comment agir avec lui. Comme face à un serpent dont on est incapable d’en estimer la dangerosité. Un serpent ? Oui, son regard est tout aussi fixe, sa façon de se mouvoir est souple, assurée, silencieuse. Un pas discret que mon ouïe s’empresse d’entendre pour l’apprendre, pour le reconnaître. Pour savoir si il s’agira du sien, dans mon dos, quand je partirai d’ici. Pour savoir si il me suivra.
« Bonsoir. Merci pour le verre. » Je n’hausse jamais la voix, bien qu’autour de nous règne un véritable maelstrom de sons divers, entre les conversations, les bruits de verre ou de bouteilles, les chaises que l’on racle, la porte qui cogne la petite clochette suspendue au dessus de ses gonds. « Je suis navré, je n’allais guère tarder à rentrer chez moi… Mais peut-être puis-je faire quelque chose pour vous ? »
Oui, je suis un homme poli. Et contrairement à une horloge, je ne fonctionne pas par piles.


MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyMer 13 Juil - 22:28
Llyr C. Anarawd
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la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.




J’aurais pu choisir n’importe qui d’autre.
Dans ce brouhaha, dans cette tornade d’âmes perdues qui errent dans ces lieux, à chercher à discuter, à trouver un quelconque intérêt à leur vie. Je suis perdu dans ces eaux. Perdu ? Pourtant n’ai-je pas choisi ce chemin ? Choisi d’aller ici, de venir en cet endroit pour, moi aussi, devenir chevalier de cette tempête d’êtres qui, désespérément, se battent pour occuper leur esprit ? Oui. Mais je reste perdu. Ils sont là, à parler entre eux, à s’échanger des mots, certains se couvrent de tendresse, de caresses, s’effleurent les lèvres. Et moi, au milieu, j’observe, me glisse, m’installe. Je n’écoute jamais les conversations. La vie des autres, bien que je sois quelque peu curieux, ne m’intéresse aucunement ici. Je ne veux que le bruit. Je ne veux pas être seul. Si le whisky m’aide, les voix, le bruit, masse de tonalités et cordes vocales vibrantes, m’accompagnent face aux doutes et pensées sombres. Parfois, j’entends quelques bribes de mots qui me font sourire. Une jeune femme heureuse, un homme comblé, un autre qui parlent de son travail ou de ses découvertes fructueuses. Le peuple est-il si heureux ? Tant mieux. Le corps armé pour lequel je travaille cherche à le consolider. Je suppose, dans ce genre d’instants, que je fais bien mon travail, que je fais ce qui m’est demandé comme il se doit. En vérité, si. Je n’écoute que les discussions qui sonnent de cette façon pour me conforter, réconforter. Je dois également admettre que je commande toujours un verre supplémentaire dès que je peux percevoir un élément positif. C’est un argument et une excuse comme un autre pour boire un petit peu plus.

Mais retournons à ce qui m’intéresse, là.
Après tout, j’aurais pu choisir n’importe qui d’autre.
Pourtant, mon regard s’est posé sur cette silhouette différente. Quelqu’un qui, comme moi, écoute, perçoit, observe. Il s’occupe des autres mais pas de lui, mais se préoccupe de lui et non des autres. N’est-ce pas étrange ? Cela pourrait l’être, si je n’étais pas pareil. Au fond de moi, cependant, je crois qu’il m’a toujours considéré comme les autres. Il y a tout de même de fortes chances que cet homme ait été présent lors de ma propre régularité en ces lieux. Mais je l’ai dit. Je ne me préoccupe pas. Je m’occupe. Et lui aussi. Mais là, aujourd’hui, je me suis préoccupé. De lui ? Peut-être. Mais plutôt de moi. Pourquoi ? Car j’ai des envies, des besoins, des désirs. Et que dans ses différences face à cette population semblable, je sais qu’il sera peut-être dans la capacité de les combler. C’est ainsi que je trouve qui j’ai besoin. Je m’occupe. J’observe, détaille, contemple, regarde, souris, accorde un mot, deux, un verre, deux, une caresse. Finalement, je deviens comme les autres quand j’ai des envies. Je crois que je comprends. Je ne suis peut-être pas différent. Progressivement, je deviens comme les autres. Je deviens les autres, même. Ceux dont je ne me préoccupe aucunement… en qui je me fonds. Je me fonds dans cette masse, jusqu’à devenir leur fantôme aussi, dont ils n’entendent que le brouhaha. Je participe au brouhaha. Je deviens ce chevalier de la tempête. Un chevalier parmi tant d’autres. Je les comprends. N’est-ce pas plaisant parfois de se mêler aux autres ? Non.

Car si je l’ai choisi lui, ce n’est pas pour être comme les autres.
Sa façon de me regarder, la panique dans son regard. Ce regard. Sa voix incertaine face à mon silence et mon tout léger sourire. On m’observe, parfois, je le sais, avec admiration. Ou peur. Ou ignorance. Mais en lui, il y a quelque chose qui me rend curieux. Il me fixe d’une façon qui, étrangement… m’apaise. Comme si ce regard étranger ne m’était en vérité pas inconnu.

    « Je ne comptais aucunement vous déranger. Vous sembliez ailleurs. Ca a attiré ma curiosité. »


Je ne mens pas. Je ne dis pas non plus entièrement la vérité sur la raison de ma venue vers lui. Il n’a pas haussé la voix, et je garde la mienne, grave mais prévenante. Ici, je ne suis pas un soldat. Je suis moi-même. C’est tout. Je n’ai pas à prendre un ton sérieux, sévère, ni blessant. J’observe autour de lui. Un verre presque vide et le mien qui arrive. Des sudokus. Rien d’autre. Une simplicité qui ne m’est pas coutumière. Il ne boit pas même de l’alcool.

    « Je vais vous souhaiter une bonne soirée, alors. Pour votre prochain verre, n’hésitez pas à le mettre sur mon ardoise. Sergent Anarawd. On me connait. »


Acte de sympathie qui, bien qu’il puisse sembler étrange, ne l’est pas tant que ça. J’y vais par étape. Comme tout le monde. Je me montre doux, sauf si les besoins sont urgents. Je n’arrive pas encore à jauger si c’est le cas.

    « Profitez de votre boisson. Peut-être aurons-nous l’occasion de discuter plus tard alors… Je suis curieux sur vos techniques de sudoku. Monsieur… ?»



Celwyddgi.
Menteur.  

Ce n'est pas les sudokus que je veux effleurer. Mais plutôt ton corps.


MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptySam 30 Juil - 14:29
Evgeni Dunyasha
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Il a tout d’un prédateur. Son regard est fixe mais il n’a rien à voir avec celui d’un bête bovin : ce sont des prunelles intelligentes, examinant mon corps, étudiant mes gestes. Il est attentif, il le reste, malgré l’alcool qu’il a ingéré : ce n’est pas seulement un habitué, mais c’est un homme résistant, doté d’une résistance physique évidente et d’une force mentale que son regard suffit à trahir. Il ne fléchit pas, et combien même ses prunelles se détournent, ce n’est que pour mieux repérer les environs, les autres autour de nous. Son oreille est toujours aux aguets, il réagit face aux sons qui nous parviennent : ce n’est pas visible sur son visage figé, non, mais dans sa façon de se mouvoir. Un homme d’action. Un soldat ? La réponse vient d’elle-même alors que je m’apprête à le questionner. Il s’agit même d’un sergent. J’ignore les rangs hiérarchiques militaires, mais je comprends aisément qu’il a de l’autorité, au moins sur un groupe d’hommes. Un homme qui commande, qui donne des instructions, un homme qui aime les règles et le respect des lois. Je ne suis pas si différent de lui, bien que je sois un délinquant concernant les lois de la nature – ou, au contraire, je suis celui qui les applique à merveilles. Le darwinisme reste une philosophie actuelle : les plus forts peuvent se reproduire et assurer une progéniture, les caractéristiques qui leur permettent de survivre sont transmises à leurs héritiers au point que ces éléments finissent, parfois, par faire totalement partie de ces nouvelles générations. Comme le fait que nous ayons 5 doigts à chaque main dont un pouce, le fait que notre cerveau ait pu se développer et continuera à le faire, comme ces Sovers qui sont… une avancée de la nature, un bond en avant dans l’avenir de l’humanité au sens premier du terme, un progrès accéléré de nos corps humains, de notre organisme que nous avons su nous-mêmes élaboré.
Pourquoi ai-je besoin de tout rapporter à mon travail ?

Car il s’agit de ma force. Penser à mes créations me rassure, me renvoie à mes propres capacités, mes réussites, mes erreurs, mais aussi, mes devoirs. Dont celui de Père. Celui d’un homme qui ne doit pas faiblir, qui doit s’efforcer de faire au mieux de ses capacités, pas pour lui, mais pour les autres, pour ces enfants qui comptent sur lui. Je sais que je ne suis pas un homme parfait. Mais je souhaite que le jour où un de mes enfants viendra me voir, je souhaite qu’il soit fier de moi. Que je n’ai pas honte de me montrer à lui. Et qu’il n’ait pas honte d’avoir été… engendré par moi. Savoir d’où l’on vient n’est pas primordial pour croître, comme un arbre sait grandir sans voir ses racines : mais l’Homme est fait d’une telle sorte… Qu’il préfère grandir en sachant ses racines plongées dans une terre noble plutôt que dans une boue souillée. Mes Sovers sont nés d’un esprit scientifique, de pulsions, peut-être, intéressées ; mais je les ai entourées de mon attention et de mon affection. J’ai fait d’eux des êtres améliorés, non pas pour la société, mais pour leur propre bien. Pour qu’ils vivent dans cette société sans être inquiété. Ce sont les prunelles de l’état. Les prunelles de mes yeux.

Les siennes ne me quittent plus. Elles sont fixées sur moi. Plantées en moi. Elles retiennent mon cœur qui bat, affolé, dans ma cage thoracique, mon cœur qui se débat pour échapper à son contrôle. Son sourire n’a absolument rien de chaleureux ou d’encourageant : il semble jubiler. Se moquerait-il de moi ? Il ne serait pas le premier. Mais non, je n’ai pas cette sensation. C’est un réel intérêt qu’il me porte. Un intérêt que je ne comprends pas encore : il ne m’a pas encore questionné sur le travail que je fais ou sur d’autres éléments qui pourraient présenter un danger pour moi. Il parle, sans trop en dire : il se contente du minimum d’informations pour satisfaire de possibles questions, pour satisfaire les raisonnements les plus élémentaires, les plus rudimentaires. Les esprits les plus fragiles peuvent aisément se laisser impressionner par lui ou bien… se laisser immobiliser ; Ne plus oser avancer de questions ou de remarques. Car l’homme face à moi est de ce calme dangereux. Ce calme qui laisse sous-entendre une tension perceptible que l’alcool ne suffit pas à endormir.

Étonnamment, il ne semble pas vouloir me retenir. Au contraire, il me laisse totalement libre de partir si je le souhaite, pourtant, ses questions semblent comme me retenir. Par politesse, je ne puis les éviter. Il ne m’est pas non plus possible de rester silencieux ou de bafouiller, sous peur de paraître suspect à ses yeux. Et il n’est guère conseiller d’attiser la méfiance d’un militaire, d’un gradé en plus de cela.
« Evgeni… » Je répondis avec maladresse. Mon nom de famille ? Je ne suis pas assez fou pour le lui donner. Un prénom, par contre, je ne prends aucun risque, on peut être nombreux à s’appeler ainsi. « Et vous savez, il n’y a pas tant de techniques que cela pour réussir un Sudoku, il faut beaucoup de logique et c’est bien souvent ce qu’il me manque. Mais je peux vous présenter quelques stratégies ! Un Sudoku est composé de 81 cases. On y trouve des régions, structurées ainsi, trois blocs sur trois blocs comme vous pouvez le voir ici. Il y a aussi des lignes et des colonnes. Bref, une des possibles manières de faire est de mettre tous les chiffres possibles qui rentrent dans chaque case. Ensuite il faut éliminer tout ce qui est chiffre impossible ! Par exemple, prenez une région : sur cette ligne, on peut mettre un 1 et un 2… Mais pas les autres lignes, c’est empêché par la présence des chiffres que vous voyez ici et là, nous pouvons donc les effacer ! Prenons cette région, là, si il y a deux cases qui partagent les mêmes paires, comme le 6 et le 8, on peut effacer tous les 6 et 8 des autres cases de cette même région, c’est une question de probabilité vous comprenez ? Ah, un autre conseil, n’utilisez pas de gommes, ça peut effacer vos autres chiffres voire faire de grosses traces noires, il est préférable d’écrire en petit vos chiffres et de les rayer proprement, c’est plus agréable à voir et c’est aussi une bonne façon de ne pas commettre de bêtes erreurs à cause d’un chiffre oublié. »

Je suis bavard. Je le sais. Quand ce ne sont pas mes pensées qui s’agitent dans tous les sens, cela se répercute sur mon corps. Ma langue s’emballe, les mots se précipitent, avec tant de vitesse que mes lèvres peinent à tous les articuler correctement. J’accompagne mon flot de paroles de mouvements vifs de mon stylo alors que j’encadre régions, colonnes, lignes, paires de chiffres au fur et à mesure de mes explications. Mes mouvements sont assurés de même que mes tracés, et pourtant, ma main tremble sous la nervosité, il arrive à ce que ma langue trébuche et que la fin du mot prononcé s’effondre, au point où je suis parfois obligé de reprendre ma phrase dès son commencement pour me faire comprendre. Je suis hyperactif, et je n’ai pas eu le temps de prendre mon traitement. Je vais devoir rentrer. Je ne suis resté que trop longtemps assis, et voilà qu’il reste près de moi, que son ombre recouvre l’espace à ma droite, en direction de la sortie, comme pour m’empêcher de partir. Je me lève dans un mouvement rapide et je récupère mes affaires.
« Voilà. Bon eh bien je vous souhaite une bonne fin de soirée, Sergent, merci pour le verre. Nous nous reverrons peut-être. » Je le salue d’un signe de tête et j’ai l’audace de franchir son ombre pour m’avancer vers la porte. Mon esprit réfléchit déjà vivement aux directions que je vais devoir emprunter : vais-je devoir directement rentrer chez moi ? Non, si il me suivait ? Mais si il sait où j’habite, va-t-il être alerté par le fait que je n’emprunte pas le chemin habituel ? Je sais, je n’ai qu’à aller acheter quelque chose, n’importe quoi, dans un magasin pour justifier mon détour. Oui, et peut-être espérer l’y semer. Voilà, je suis dehors, l’air froid me fouette le visage. Je ne me rhabille que maintenant avant de m’avancer. Le pas rapide. Peut-être trop. Mais le froid n’invite guère à la flânerie. Ni son pas que je crois entendre derrière moi.  


MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyMer 3 Aoû - 11:53
Llyr C. Anarawd
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MÉTIER/OCCUPATION : Sergent, dans l'armée.

la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.




Pourquoi être venu vers lui ? Parce qu’il m’attire. Non, pas son physique. Quoique ses yeux. Peut-être ses yeux. Ses hanches. Ses mains. Oui, ses mains ont ce petit quelque chose qui m’attire, ce petit je-ne-sais-quoi qui me force à les regarder. Et pendant qu’il parle, je les suis, je suis chacun des gestes, chaque petit mouvement, ne serait-ce qu’un petit… Je ne peux pas m’en empêcher. Mais ses yeux, oui. Je contemple son regard paniqué, perdu. Lui ferai-je peur ? Le cavalier devant le fou, qui gagne d’habitude ? Lequel est le plus libre de ses mouvements ? Ce n’est qu’à eux de décider. Et il a décidé de jouer sa carte, celle des paroles, volent volent, paroles et mots, volent volent phrases insensées dans le sens du vent. Il commence par son nom, Evgeni. Il continue. Il m’explique ce qui devrait m’intéresser, mais qu’est-ce que j’en ai bien à faire, de son sudoku ? Ca ne m’intéresse pas. Ca ne me regarde pas. Ce n’est aucunement mon problème. Oh oui, je sais. J’ai joué le passionné, mais je sais déjà faire ces petits jeux… Sans grand intérêt. Le sudoku, comme tout autre jeu, me plonge dans le silence et dans la réflexion, tout ce que je ne veux pas quand je suis seul chez moi. Mais parle, parle encore, bel homme. Continue de dire ce qui te passionne, déblatère. Je n’écoute pas. Non, c’est faux. J’écoute mais ne cherche pas à suivre. Car cette voix brise mon silence, le calme de ma vie. Qu’elle irait bien entre mes murs, dans mon lit ! Les fantômes partiraient, spectres destructeurs, qui hantent ma demeurent depuis quelques mois maintenant. Paroles, dévorent ces âmes rongées par la haine et la vengeance !

Mais ce silence revient si vite. L’endroit n’est pas vide, mais pourtant, sans sa voix, tout me semble soudainement si… triste. Pourquoi ne dit-il plus rien ? Devrais-je répondre ? Non, il se lève. Je sens toute cette panique, comme lorsque je me dois de faire irruption dans une demeure pour enlever quelqu’un et aller l’interroger, comme quand on me fait frapper quelqu’un, en pleine rue, pour que je montre à la population ce qu’elle ne doit pas faire. C’est la même. Dois-je comprendre qu’il a quelque chose à cacher ? Mais après tout, nous avons tous nos secrets non ? Je n’ai pas envie de le questionner là-dessus, je ne suis pas en service après tout. A nouveau, mon regard glisse, suit cette ombre qui s’échappe. Une ombre si lumineuse parmi les autres, sans doute car elle m’intrigue. Belle ombre. Au milieu de la foule, personne ne doit faire attention à lui. Personne ne doit lui prêter le moindre regard, mais je me suis dirigé vers lui, je suis venu vers lui. Car toutes les ombres perdues, vestiges en ruines, se retrouvent un jour.

Evgeni.


J’en ai connu un. Il y a longtemps. Mais il fait partie de cette vie à laquelle je ne veux plus penser. Il fait partie du passé. De la famille de… non. Non. Ce n’est pas le moment d’y repenser. La toundra. Le froid. Je tremble, un frisson m’envahit, je secoue la tête pour reprendre mes esprits. Il n’y a pas de raison. Pourquoi serait-ce lui ? Il y a des dizaines d’Evgeni dans cette ville. Peut-être même plus.

Ou bien moins.
Et c’est peut-être lui.


C’est lui qui paniquait. Mais maintenant c’est moi. C’est moi qui tremble et qui prend la position dans laquelle il était, Evgeni, il y a quelques secondes. Celle de la créature qui se sent traquée. Traquée par qui, par quoi ? Et surtout, comment pourrais-je être traqué ? Non. Je refuse d’être une proie. Je suis un chasseur. Et c’est ma nuit. La nuit du chasseur, oui. Alors je le suis, je le regarde faire ses petits pas dans la neige alors que je viens poser mon long manteau sur ses épaules frêles. Nous n’avons aucunement la même carrure, mais je m’en fiche : il est entouré de mon odeur, de mon vêtement. Enfermé dans ce qui recouvre habituellement mon corps. Comme s’il était enfermé contre moi.
    « Vous êtes… le frère d’Arkadi. N’est-ce pas ? »

Le même regard sombre.

Ô Arkadi… Tu me hantes. Si seulement ton esprit n’était toujours pas présent. Je n’ai jamais voulu te laisser dans la neige, mais je n’ai pas eu le choix… Je n’ai pas eu le choix…

    « Nous nous connaissons, Evgeni. Vous et moi. J’habitais la maison à côté de la vôtre et vous aviez peur de moi… »


Mais n’est-ce pas toujours le cas ?

Non. N’ais pas peur de moi. J’en ai assez que la peur obscurcisse le cœur des hommes pour les éloigner de moi.



MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyDim 14 Aoû - 10:02
Evgeni Dunyasha
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MÉTIER/OCCUPATION : Chercheur. Enfin, Laborantin.



Le soleil est couché depuis quelques heures maintenant. Une brume sournoise et menaçante s’est glissée dans les rues ; ses longs bras fantomatiques emprisonnent les lueurs des quelques lampadaires ici et là, tentant de les étouffer… Ces sources de lumière ne parviennent pas à se libérer de leur étreinte et les voilà qui luttent de tous leurs rayons, jusqu’à se briser et n’être plus qu’une tâche luminescente, un reste de ce qu’elles ont été. Je leur suis semblable, mais je l’ignore encore alors que mes pas s’accélèrent : je suis un fantôme, un reste de ses souvenirs, un fragment de vie qui tente de s’échapper, de disparaître, de fondre dans la brume comme l’ont fait ses lumières. Pour ne plus sentir sa présence, pour ne plus craindre ses attaques. Naïvement, je suis le cheminement imposé des lampadaires, bien qu’ils m’éloignent de chez moi pour l’instant : feux follets traîtres ou bien guides salvateurs ? On ne cesse de répéter aux femmes de ne pas quitter la lumière. Je déglutis nerveusement : mais l’homme se dit soldat. Sergent en plus de cela. S’il me tombait dessus… Personne n’interviendrait. Personne n’oserait dire quoi que ce soit. On détournerait les yeux et l’on passerait son chemin. Voilà que je reconnais son pas. Plus militaire, plus cadencé. Plus efficace que mes petites jambes qui, dans leur empressement de m’éloigner, me font légèrement trébucher et perdre quelques secondes, quelques mètres précieux. Il est toujours là. Et il se rapproche de moi. Je n’ai rien pour me défendre. Je m’étais pourtant dit de penser à m’acheter une bombe au poivre ! Ou au moins un nettoyant pour vitres ! C’est toujours efficace, je vois bien la douleur que cela m’inflige quand je l’utilise… La détresse vole mon souffle et désordonne mes pensées : les voilà qui fourmillent et grouillent dans ma tête, qu’elles cherchent toutes à se faire entendre. Elles deviennent bientôt aussi oppressantes que l’homme qui n’est plus qu’à quelques mètres de moi. Devrais-je courir ? M’arrêter devant une vitrine ? Non, stupide, elles sont toutes protégées par des tôles pour les fermer et empêcher toutes effractions. Devrais-je subitement faire demi-tour et revenir au bar ? Pourquoi faire, lui sauter dans les bras ?

Et il s’abat sur moi. Comme un aigle sur sa proie. Une ultime crispation saisit mon corps entier et je baisse la tête, redresse légèrement les bras, arque mon dos comme un pitoyable lapin qui se refuserait à se laisser attraper… Mais il ne me tire pas en arrière. Il ne porte pas une main à ma bouche, je ne sens pas le contact acéré d’une lame sur ma peau. Je sens un parfum discret mais malgré tout, assez tenace. Je sens une chaleur qui n’est pas la mienne m’entourer, un poids sur mes épaules, et je redresse les yeux, les clignant bêtement alors que je regarde le manteau qui m’enveloppe. Je devrais être soulagé… Pourtant, je ne désire que l’arracher. A mes yeux, il s’agit d’une attaque directement portée à mon intimité, un contact qu’il m’impose d’avoir comme si sa main s’était directement déposée sur moi. Je me redresse plus franchement et je tourne finalement les yeux vers lui, un regard qui mêle la peur à une certaine forme de résistance, de protestation face à ce qu’il vient de faire. Ce doit être risible à voir. Je flotte dans sa veste, dont l’extrémité traîne dans la neige. Elle sera mouillée. Tant pis pour lui. C’est une revanche futile, mais la satisfaction légère qu’un faible comme moi peut trouver, celle de réussir à impacter désagréablement la vie d’un homme bien plus fort tant physiquement que mentalement. En devenant adulte, on apprend à s’habituer à la frustration… et à se réjouir de petites choses parfois. Comme ce fragment de pouvoir dans ce moment de totale impuissance qui me saisit.

Et c’est alors que le nom de mon frère surgit. A ce son, je reste comme stupéfait et j’entrouvre légèrement les lèvres, mes yeux s’écarquillant de toute leur ampleur. Le souffle me manque de nouveau, bien que je ne coure plus, mais mon cœur s’emballe. Son image me vient en tête. Mon frère. Mon frère et son sens du devoir, de la famille, mon frère et sa rigueur morale, mon frère et son humour, sa joie de vivre. Mon frère que j’ai perdu depuis des années déjà. Perdu au sens littéral du terme j’espère. Il a disparu lors d’une mission… D’après ce que ma mère m’a dit. Elle était en pleurs, mais nous n’avons pas fait d’enterrement. Il n’est pas mort. Il est simplement disparu. Cet homme sait-il quelque chose ? Il l’a connu. Il m’a connu. J’écoute en silence tout ce qu’il me dit, tout ce qu’il m’annonce, alors que je serre contre moi mon sudoku qui s’humidifie à cause de l’air ambiant. Mes yeux restent grands comme des soucoupes et je force mon souffle à se ralentir encore. Son manteau me dérange. Ses aveux aussi. Je ne sais pas quoi en penser alors que je baisse les yeux, alors que je crois revoir le jeune adolescent qui traînait bien souvent avec mon frère, qui venait parfois flâner dans notre salon, à boire ou à grignoter avec mon frère tout en discutant des filles, des choses qu’ils avaient pu voir ou vivre. Et moi, je les observais, ombre fugace qui disparaissait dès qu’ils tournaient les yeux dans ma direction. J’étais déjà un fantôme. Inexistant.

Et pourtant, là, je suis bien réel face à lui, comme il l’est pour moi. Il n’est plus l’image que je me contentais d’apercevoir, je ne suis plus la silhouette qui s’évanouissait dès qu’il tournait franchement les yeux vers moi. Probablement car l’âge et le manque d’exercice font que je ne puis plus fuir aussi aisément qu’avant. Je retire lentement le manteau de mes épaules d’une main, m’aide des deux pour le replier, bien que cela fasse tomber mon stylo, et je le lui retends.

« Je me souviens, en effet. Vous avez bien changé. Vous avez grandi, vous avez gagné en musculature, votre visage s’est affiné et vous avez coupé vos cheveux. Llyr c’est cela ? Je dois admettre que je ne vous aurais probablement pas reconnu, enfin j’avais un doute quand vous vous êtes signalé mais votre regard n’est plus du tout ce qu’il a pu être. La guerre, j’imagine. Excusez-moi, comme vous vous en doutez, je reste… timide. Enfin, contrairement à vous, je n’ai pas tant changé que cela. » Je commence à déblatérer, bavard comme une pie, tendant toujours ce manteau pour qu’il le récupère. « Je suppose qu’on vous a dit… Pour Arkadi. Nous n’avons toujours aucune nouvelle. Si jamais, d’ailleurs, vous apprenez quoi que ce soit je… Je serais ravi que vous m’en parliez. Même si ce… Même si cette nouvelle ne serait pas des meilleures. Je viens régulièrement à ce bar, donc vous n’aurez aucun mal à me trouver. » Je reprends une fois de plus mon souffle. Je crois que l’émotion joue. « Cela fait des mois maintenant… Il a disparu en mission. Il était parti dans la toundra. Enfin vous le savez sûrement déjà, les militaires savent beaucoup de choses mais ne parlent pas beaucoup n’est ce pas ? » Je souris faiblement. « J’essaye seulement d’être réaliste, le pourcentage de chances à ce qu’il soit… encore vivant est très bas… Je le sais. » Et voilà… que je m’ouvre à lui, que je lui confie un sac pesant, empli de mes angoisses et de mes questionnements. Mon frère. Arkadi. Ces trois syllabes sonnent comme les manipulations d’un expert crocheteur qui a réussi à découvrir une des nombreuses combinaisons pour dévoiler mon âme. Mon cœur battant. Arkadi…

Je ne suis plus une vulgaire ombre. Je suis le petit frère. Je suis le garçon curieux, le gamin plein d’amour, de crainte et de fierté pour son aîné. Je suis un homme qui garde ces sentiments d’enfant pour un autre disparu bien trop vite. Je suis un homme vivant, aux sentiments sincères et si puissants qu’ils commencent à faire luire mes yeux, à tirer mes traits sous une peine que j’essaye de fuir, mais qui est pourtant bien là.
« Arkadi me manque terriblement, vous savez. »
Cela m’échappe dans un souffle, comme si je reprenais vie, comme si j’étais un noyé qui remontait enfin à la surface. Je ressens de nouveau. Je ne me contente plus de faits, de calculs, de raisonnements logiques, de constatations factuelles. Je ne suis plus un ordinateur, je ne suis plus ce fragment de vie qui subsiste, poussé par de simples besoins naturels et des conditionnements de pensée automatiques. Je suis désarçonné. Je suis humain. Je suis vivant. Et c’est cette souffrance qui me le rappelle. Cette tristesse qui fait s’effondrer cet être artificiel que j’ai dû construire pour réussir à vivre dans cette société.  


MessageSujet: Re: la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.[Evgeni] EmptyDim 14 Aoû - 20:17
Llyr C. Anarawd
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MÉTIER/OCCUPATION : Sergent, dans l'armée.

la force est à ceux qui restent maîtres d'eux.




Arkadi, ô Arkadi. Il y a des noms que l’on n’oublie jamais. Des noms qui restent gravés, là, dans notre être, dans notre âme. Incrusté dans la pierre qu’est mon cœur, tatoué dans ma chair. Arkadi. Je en sais pas pourquoi j’ai osé prononcer les quelques sons qui forment le nom de cet homme qui a accompagné ma vie pendant des années. Un voisin, au début. Rencontre maladroite au détour de la rue, à simplement discuter. Puis à se raccompagner sur le chemin de l’école, à s’échanger des mots plus francs, vagabonder dans les rues. Puis boire notre premier verre d’alcool ensemble, assez jeunes, parler encore et encore, apprendre à connaître le gout de l’autre, se familiariser, découvrir la famille, découvrir d’autres amis. Puis par la suite encore, parler des conquêtes amoureuses. Echanger un premier baiser, en rire, échanger les premières caresses, se reculer, prétendre d’oublier. Ne pas oublier. Y penser la nuit, seul. Non. Si. Si, je l’admets. J’y ai pensé plus d’une fois. Nous étions si jeunes. Et nous nous sommes engagés dans l’armée, ensemble, ne sachant pas quoi faire. Manier une arme, prendre du grade. Découvrir les sovers. Ne pas vraiment les apprécier. Se promettre que nous serons toujours là l’un pour l’autre.

Se promettre que nous serons toujours là l’un pour l’autre.

Arkadi, ô Arkadi. Nous nous sommes aimés une fois, nuit glaciale vide de sens à laquelle nous avons trouvé un but. Nous avons accepté toutes les missions, les avons accomplis ensemble. Je suis devenu Sergent, tu es devenu meilleur encore, mon supérieur. Oh oui, supérieur au travail peut-être, mais toujours amis. A ce moment là, il m’avait promis. Promis que quoiqu’il se passe, je serai toujours son Llyr et qu’il serait toujours mon Arkadi. Des amis, plus encore, des frères, jusqu’à la fin.

Jusqu’à la fin.

Arkadi, ô Arkadi, la fin arrive bien trop vite. Mission de routine, nous devions simplement aller dans cette toundra. La tempête éclate, les prisonniers s’échappent, nous voilà, toi, moi, et un autre qui nous aura servi de repas. La course dans la glace, le vent nous claque la face. Tu t’es écroulé. Et qu’ai-je fais ? Je t’ai regardé. Je t’ai regardé et j’ai lutté contre les larmes. Elles auraient gelé, là, sur mon visage, auraient rongé ma peau sous le froid. Je t’ai juste regardé. Fatigué, épuisé, au sol. Tu n’as pas bougé. Je ne t’ai pas aidé. Je t’avais promis que je serai toujours là pour toi. Mais je t’ai abandonné, Arkadi, je t’ai laissé. J’ai aussi laissé une partie de mon être avec toi. Arkadi.

Je ressors de mes pensées en écoutant ce petit morceau d’homme parler encore et encore. Il semble si bavard. Evgeni, oui. Il avait toujours si peur de moi, mais tu le rassurais, Arkadi. Mais aujourd’hui tu n’es plus là pour le faire. Je reprends mon manteau, en effleure ses doigts sans trop le vouloir. Je suis ailleurs alors qu’il parle, parle encore, sans arrêt. Mais je souris, je crois. Il est étrangement attendrissant. Il le dit si bien, lui n’a pas changé. Je vois toujours ce jeune homme qui parlait à voix basse, timidement. Qui avait peur de tout, mais surtout de rien. Qui évitait les regards.
    « Il me manque aussi. ».

Oui, je tranche. Ma voix grave coupe la sienne pour qu’il reprenne son souffle.

Arkadi, ô Arkadi. Tu étais toute la vie de ton frère, tu l’es toujours. Un héros, un modèle. Qu’ai-je fait ? J’aurais pu te sauver. Te laisser en vie. Qu’avais-je à gagner, après tout, à revenir ici ? Pas de famille. Plus rien. Tu avais Evgeni. Peut-être puis-je en prendre soin pour toi, oui. Je ne sais pas. Je ne suis pas capable de sauver quelqu’un. Je ne suis pas capable de me sauver moi-même.

    «  "Nous nous sommes rencontrés d'une façon étrange, et de même serons séparés. Sans un sourire se termine notre romance et si notre mémoire se retourne sur ce passé, nous nous dirons: "Ce ne fut qu'un mirage.". Arkadi le chantait, parfois. »


Pourquoi est-ce que je raconte ça ? Mon sourire en revient doucement.  C’est agréable d’y penser, de penser à lui. Je remets mon manteau sur mes épaules, suis pris d’un frisson inexistant qui me transperce l’échine.

    « Je suis désolé. Je pensais à voix haute. Je… Puis-je vous offrir de vous raccompagner ? Cela me mettrait quelque peu mal à l’aise de vous laisser partir ainsi en sombrant dans la mélancolie. »


Arkadi, ô Arkadi. Toi et moi avons dévoré un homme.
Mais celui-ci n’est que pour moi.
Tu ne me l’aurais jamais laissé, si tu étais là.
Mais tu n’es plus là.

Laisse moi ce repas.
Ne m'en veux pas.








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